[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Bernard Laporte, le président de la Fédération française de rugby, et Jacques Brunel, le nouveau sélectionneur du XV de France, dévoilent leur plan de bataille pour l’avenir.
Une grande boîte de chocolats ouverte devant lui, le livre d’Aristide Barraud « Mais ne sombre pas » sur un meuble près de l’entrée, Bernard Laporte (53 ans) nous reçoit dans son bureau de Marcoussis. Jacques Brunel (63 ans) prend place près de lui. Le président de la Fédération et le nouveau sélectionneur répondront pendant près de trois quarts d’heure à nos questions. Une première depuis l’éviction de Guy Novès la semaine dernière.
La nouvelle donne
Entre 2001 et 2007 vous avez travaillé ensemble au sein du XV de France. Auriez-vous imaginé vous retrouver ainsi dix ans plus tard?
Bernard Laporte. Ça aurait été compliqué. Parce qu'à l'époque je n'envisageais pas une seconde d'être un jour président de la Fédération française ! (Rires.) Je partais pour être secrétaire d'Etat. De mémoire, Jacques partait à Perpignan...
Jacques Brunel. Oui... Nous avions terminé une histoire. Qu'on puisse se retrouver pouvait être envisageable, mais dans ces conditions-là, certainement pas.
Qu'est-ce qui vous a plu chez Jacques Brunel ?
B.L. Si j'ai choisi Jacques, d'abord c'est parce que j'ai pensé que, dans l'intérêt général du rugby, il fallait changer. Voilà. C'est toujours très douloureux mais au bout d'un moment, quand vous êtes à la tête d'une institution, il faut prendre ses responsabilités. 2015 (NDLR : l'élimination en quart de finale de la Coupe du monde par la Nouvelle-Zélande 62-13) est un drame pour le rugby français. Sauf qu'après, on oublie. Et tu t'aperçois, deux ans après, qu'on n'a pas avancé et qu'on a même régressé !
Et donc ?
B.L. Aujourd'hui, on a les entraîneurs d'un côté, le staff de l'équipe de France de l'autre. Et au milieu, il y a les joueurs. Et si j'ai pris Jacques, c'est parce qu'il est aimé des joueurs, il fédère, il est passionné, il aime autant les hommes que le jeu. On a besoin de ça. Il ne faut pas d'ego là. Il faut aller discuter avec les gens, il faut rassembler. Ce n'est pas facile, tout le monde ne peut pas le faire.
Ne regrettez-vous pas d'avoir assuré que Guy Novès serait là jusqu'en 2019 ?
B.L. Pas du tout. Si je l'ai dit devant les joueurs, c'est que c'était clair dans ma tête. Sauf qu'au bout d'un moment, quand tu vois la catastrophe, qu'il n'y a plus d'unité, tu te dis : « On continue et on va droit dans le mur jusqu'en 2019 ? » Non ! C'est maintenant le changement ! (Il tape du poing sur le bureau.) Mais ce qui m'intéresse, ce n'est pas de dire : on change un homme par un homme et on attend la composition d'équipe contre l'Irlande. Non, c'est un véritable changement de projet où on va rassembler.
Le rôle de chacun
Formerez-vous un duo tous les deux ?
B.L. Ah non, non, non. Je ne suis plus sur le terrain, moi ! J'ai pris une décision. Je lance le nouveau projet politiquement. Le reste, c'est leur histoire.
N'êtes-vous pas allé trop vite en annonçant cette volonté de composer un staff avec des entraîneurs du Top 14 ?
B.L. Qu'est-ce qu'il aurait fallu dire ? On va faire le Tournoi avec « ça » et puis après ?... Non, le projet est lancé : on veut rassembler. La preuve, c'est que pour juin et les tournées d'après, beaucoup d'entraîneurs du Top 14 sont intéressés. Mais là, c'est vrai qu'ils ne pouvaient pas dire à leur président : dans un mois je m'en vais pendant huit semaines.
Les refus vous ont-ils frustré ?
J.B. Non. Comme l'a dit Bernard, le temps imparti était compliqué. On a lancé des pistes. Il y a eu des refus par rapport aux circonstances. C'est normal. L'important, c'est qu'on sente une adhésion. La progression des joueurs ne sera conséquente que s'il y a une cohésion entre le travail fait en équipe de France et celui en club.
Au final, quel est l'esprit de votre staff ?
J.B. Le choix est d'abord lié aux gens qui pouvaient se libérer, en qui j'ai confiance et qui ont la même vision. Ce sont des gens que j'ai entraînés. Sébastien Bruno, en charge de la mêlée, sera mis à disposition par Lyon. Jean-Baptiste Elissalde, en charge des trois-quarts, venait d'intégrer la Fédération mais il est issu des clubs aussi. Et Julien Bonnaire, en charge de la touche, c'est un peu l'exception. Mais quand je lui ai proposé, il m'a dit spontanément : « Je veux venir dans cette aventure. »
B.L. Ce qu'on met en place va au-delà de qui va être adjoint. Ce n'est pas qu'on s'en fout, c'est important, mais l'essentiel est que tout le monde se sente intéressé. Et ce qui me fait plaisir, c'est quand Serge (NDLR : Simon) me dit : « J'ai eu tel entraîneur, il aimerait venir une semaine. » Ça montre qu'ils ont compris le système. D'ailleurs, lundi, nous les avons invités à Marcoussis. Et ils seront pratiquement tous là.
L'avenir du XV de France
Peut-on espérer une résurrection du XV de France dès le Tournoi des six nations ?
J.B. Je suis venu parce qu'il y a un projet à porter, et que je pense qu'on a un potentiel. Certes, les défaites ont pesé. Il va falloir qu'on remette en confiance cette équipe. Et bien sûr, il va falloir se préparer pour qu'elle gagne. Même si on a peu de temps. Le premier match contre l'Irlande (le 3 février) sera déterminant.
Le président ne fixera pas d'objectifs de victoire cette fois ?
B.L. Mais l'équipe de France doit toujours gagner. Si on part en se disant qu'on va finir cinquièmes...
J.B. Le Tournoi, c'est la référence. On a trop parlé de Coupe du monde. Il faut que l'équipe de France soit, jusqu'à la fin, à la bagarre pour le remporter. C'est ça ce qu'on attend d'elle.
Le capitanat de Guilhem Guirado peut-il être remis en cause ?
J.B. Cela fera partie de la réflexion dans les jours qui viennent par rapport au climat qu'on veut insuffler. Pour le connaître particulièrement, Guilhem Guirado est un garçon qui a quand même donné beaucoup de sa personne. Ce n'est pas quelqu'un qui lâche facilement. On verra. Mais je tiens à dire qu'il a été exemplaire dans la difficulté.
Faut-il toujours miser sur les jeunes ou ramener de l'expérience ?
J.B. L'équipe a besoin d'être la meilleure possible. Ce sont ceux qui sont le plus en forme qu'il faudra prendre (NDLR : la liste pour le Tournoi sera annoncée le 17 janvier).
Remporter le Mondial 2019 est-il toujours votre but ?
B.L. Bien sûr. Il faut franchir les étapes les unes après les autres. Il faut reconstruire une équipe, retrouver de la confiance. C'est vrai que c'est court. Mais je pense que ça laisse un temps assez important pour arriver avec une équipe compétitive en 2019.
J.B. L'équipe d'Angleterre a été éliminée de sa Coupe du monde en poules. Un an après elle avait enchaîné une série de 18 victoires. Donc quand il y a un potentiel...
B.L. Je me souviens d'une phrase du capitaine anglais Dylan Hartley à qui on demandait ce qu'Eddie Jones leur avait apporté pour passer de cette élimination au Grand Chelem ? Il a répondu : « Il nous a donné confiance. »