World Rugby : le projet de Ligue mondiale provoque de vives critiques
Renaud Bourel (avec C.Do.)
Le projet de Ligue mondiale souhaité par World Rugby, tel que présenté par le New Zealand Herald, suscite des inquiétudes et de vives critiques de la part des différents acteurs du rugby mondial. À commencer par les joueurs.
Depuis plusieurs mois, World Rugby travaille sur une refonte totale du calendrier mondial. Des bribes d'informations avaient fuité depuis Monaco, en novembre dernier, lors de la cérémonie des Rugby Awards. L'institution internationale souhaite créer dès 2020 la « World League », ou Ligue mondiale, en agglomérant les Six Nations de l'hémisphère nord (Angleterre, Écosse, Galles, Irlande, Italie, France), les quatre du Rugby Championship (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande), et en y ajoutant le Japon et les États-Unis, deux marchés à fort potentiel pour le développement du rugby.
Ce n'est pas une petite réforme, mais bien un bouleversement du rugby moderne que préparent Bill Beaumont, Agustin Pichot et leur état-major, soutenus, semble-t-il, par plusieurs fédérations. Pour faire simple, toutes les nations de ce gratin mondial seraient amenées à se rencontrer une fois par an, à l'exception des années de Coupe du monde. Le Tournoi des Six Nations garderait sa forme actuelle et les entrées des Japonais et des Américains dans le championnat de l'hémisphère sud mettraient un terme à l'actuel format en match aller et retour.
Mais le plus gros changement concernerait l'organisation des tournées de juin et de novembre. Au mois de juin, les nations du Nord disputeraient trois tests contre des équipes différentes puis rencontreraient les trois autres au mois de novembre, lors de la visite des sudistes. À l'issue de cette première phase, un classement sera établi et les quatre meilleures participeront à des demi-finales puis une finale, qui pourraient se tenir, selon nos confrères du New-Zealand Herald, dans des arènes de prestige comme le Camp Nou de Barcelone ou le Soldier Field de Chicago.
La tenue de ces play-offs ferait alors déborder la saison internationale potentiellement jusqu'au début du mois de décembre pour les pays qualifiés. Toujours selon nos confrères néo-zélandais, cette nouvelle compétition rapporterait entre 10 et 14 millions de dollars de revenus additionnels par saison aux pays grâce aux droits télé, des diffuseurs s'étant déjà positionnés. On comprend tout de suite mieux le soutien de certaines fédérations concernées.
Sexton et Read montent au créneauD'un point de vue strictement cocardier, le quinze de France serait le premier impacté. En fonction des années, il effectuerait de longs voyages transcontinentaux pour jouer au Japon, en Australie et en Argentine sur une même tournée. Par ailleurs, si les Bleus se qualifiaient pour les demies et la finale de la « World League », ce qui n'est pas d'une actualité brûlante, leur calendrier international s'allongerait de potentiellement deux dates. Dans une saison déjà surchargée par le nombre de matches (29 matches de Top 14 pour les deux finalistes, 9 journées de Coupe d'Europe, 11 tests internationaux), les joueurs concernés feraient défection dans leur club pour deux journées supplémentaires sur une période concernée par la Coupe d'Europe, si le timing qui a fuité était maintenu en l'état. Difficile d'imaginer les patrons de clubs français et anglais, leurs principaux employeurs, accepter ce nouvel agencement du calendrier mondial sans broncher.
Le projet de Ligue mondiale soulève aussi de vives inquiétudes chez les joueurs, notamment sur la question de la santé avec cette potentielle augmentation du nombre de matches. Près de quarante joueurs internationaux passés ou actuels ont participé, mardi soir, à une conférence téléphonique, parmi lesquels l'actuel capitaine de l'équipe de France Guilhem Guirado et son prédécesseur Thierry Dusautoir. L'ouvreur irlandais Jonathan Sexton, président du syndicat international des joueurs de rugby (IRP), s'est ému de la tournure du projet : «
Imaginer que des joueurs puissent jouer cinq matches consécutifs d'un haut niveau incroyable en novembre est hors de propos. Cela montre le peu de compréhension des contraintes physiques que cela implique. »
Les nations du Tier 2 sacrifiéesLe capitaine des All Blacks, Kieran Read, est lui aussi monté au créneau. «
Nous devons être très prudents dans la manière d'équilibrer les enjeux commerciaux avec les besoins des joueurs au niveau de la santé et nous assurer que la qualité et l'intégrité des matches répondent à ces attentes, a-t-il expliqué.
Les fans veulent voir des matches qui ont du sens. Ils ne veulent pas voir des joueurs fatigués développant un rugby au rabais dans le cadre d'une compétition affaiblie, motivée par l'argent, qui ne fonctionne pas pour les joueurs et les clubs. »
Enfin le dernier sujet de controverse, qui n'est pas le moins important, concerne les nations du Tier 2, comprenez les moins puissantes financièrement, au premier rang desquelles les pays du Pacifique ou la Géorgie. La Ligue mondiale ne comprenant pas de système de montée et de relégation, elles seraient totalement exclues du paysage pour une durée de dix ans, sans aucun rendez-vous obligatoire face aux nations majeures pour ces équipes. Une aberration quand on revendique une plus grande universalité de son sport, mais également une malhonnêteté sportive puisque s'il l'on se réfère à l'actuel classement mondial, les Fidji (9e) sont devant l'Argentine (10e), les États-Unis (13e) et l'Italie (15e). Même la Géorgie (12e) pourrait revendiquer intégrer le club très sélect que World Rugby semble décidé à fonder.