Mourad Boudjellal
(président du RC Toulon) :
«Si je ne m'en vais pas, il faut m'abattre»
Publié le dimanche 27 janvier 2019 à 00:05
Alors que Toulon n'a plus le droit à l'erreur dans une
hypothétique course à la sixième place, son président s'est
livré sur cette saison qu'il vit péniblement. Il se laisse
quatre ans pour redresser le club, avant de tourner la page.
Arnaud Requenna
Ce matin, il accumulera les cafés-noisette, en alternance avec des Pago, au RCT Café. Pas encore dans son match, mais presque, visage fermé, verbe rare, avant de se rendre à Mayol. Vendredi, on a échangé longuement avec Mourad Boudjellal (58 ans), président du RCT depuis 2006. Il s'est confié sur cette saison pénible pour lui.
«En regardant Newcastle-Toulon (24-27) le week-end dernier, avez-vous songé que ça pouvait être votre dernier match de Coupe d'Europe avant un moment ?Pour tout vous dire, je n'ai pas pensé à ça... Je me suis dit que j'étais peut-être dans Retour vers le futur, que j'étais en train de voir un match que je reverrai dans un an, deux, trois, avec juste des mecs qui auront pris quelques années et moi quelques cheveux blancs (le RCT présentait une équipe rajeunie)... Même si on a gagné trois fois la Coupe d'Europe (entre 2013 et 2015), je n'ai pas un attachement très fort pour cette épreuve. J'ai toujours été un enfant du Brennus. La Coupe d'Europe, c'est une sucrerie, ça fait plaisir, c'est sûr, mais tu penses à elle quand tu as gagné le Top 14. Dans mon imaginaire de jeune président, il n'y avait que le Brennus.
À seize points d'une place qualificative, vous pensez toujours à être dans les six premiers du Top 14 cette saison ?Disons qu'il ne faut pas se tromper de combat. Pour parler de la sixième place, on a une Coupe de France qui se présente devant nous : un 16e contre Paris, un 8e à Agen, un quart contre Pau, une demie à Perpignan, une finale devant Montpellier. J'ai calculé que si on gagne ces cinq matches, on devrait être revenus à une distance raisonnable du sixième, à cinq points, qui serait Lyon. Pour garder la forme et le moral, je fais les calculs dans ce sens mais je ne vous cache pas que l'hypothèse qui est au-dessus de mon bureau va dans l'autre sens.
Ça veut dire quoi ? Perdre contre le Stade Français puis à Agen ?Ça fait partie des choses possibles. J'ai fait une croix sur cette saison. La seule chose, c'est que je ne voudrais pas descendre en Pro D 2. On va chez trois candidats à la descente (Agen, Perpignan, Grenoble), je voyais ça comme un avantage. Si ça se trouve, c'est le gros inconvénient de notre calendrier.
Vous avez affirmé tôt dans la saison : "Si on joue le maintien, il faudra le jouer très sérieusement, à tous les étages du club car ça arrive à des gens très bien de descendre"...Bien sûr ! Je le redis : face au Stade Français, il ne faudra pas se tromper de combat. Je discutais l'autre jour au téléphone avec Pierre Mignoni qui me disait :
"Je n'ai jamais parlé de maintien à mes joueurs à l'époque (où le LOU était en deuxième partie de tableau)". Je lui ai répondu :
"Tu n'avais pas besoin de leur en parler, tes joueurs le savaient". Chez moi, les mecs qui sont venus à Toulon, c'est pour gagner des titres, pas pour jouer le maintien. Des finales, on en a joué dix en huit ans, dans les plus grands stades. La sensation que j'ai eue lorsqu'on a reçu Perpignan pour la dernière place
(en fait, l'USAP était 14 avec 3 points, le RCT 13e avec 10 points), c'est quelque chose que je ne connaissais pas. Et je peux vous dire que ce n'est pas pareil.
Mais vous n'êtes pas sur le terrain !Mais je me dis que cette sensation, mes joueurs doivent l'avoir. Quand tu joues une finale, soit tu es champion, soit c'est quand même pas mal. Là, tu te dis que c'est peut-être un bouleversement économique et sportif du club qui se noue. Tu joues entre la fête et la fin du monde. Heureusement pour nous, au classement, ça va plus vite devant que derrière.
Ce match contre le Stade Français est-il vraiment beaucoup plus important que d'autres ?Il est important car, si on perd, la sixième place ne sera même plus de la science-fiction... Au bout d'un moment, les mathématiques tuent le rêve. Le dernier souffle d'espoir qu'il reste, c'est face au Stade Français.
Le manager Patrice Collazo refuse le terme de saison de transition. Et vous ?Moi ? Une saison de merde ! Où rien ne nous sourit. On n'a pas les bons rebonds, on n'a pas la bonne passe, on est arbitrés sévèrement peut-être pour montrer qu'on est totalement indépendants du président de la FFR qui est pote avec Toulon...
Il y a une dizaine de jours, au téléphone, on ne vous avait pas encore posé une question que vous nous avez lancée : "Je n'ai viré personne"... Parce que ça vous revient souvent aux oreilles ?Tout le monde est surpris, mais je me suis fixé une ligne de conduite. Après, la saison prochaine... Vous savez, je suis comme dans Astérix en Hispanie, avec le gamin qui retient son souffle. Je pense que je peux le retenir un an, un an et demi. Deux ans... Après, dans deux ans, si on joue le maintien avec du matos, je ne suis pas certain de retenir mon souffle.
Vous disiez le 10 octobre : "Tu me demandes beaucoup, je te demande beaucoup. Patrice (Collazo) m'a dit : je veux faire avec ce groupe, ça va prendre un peu de temps"...L'an prochain, on va beaucoup donner. Un grand changement s'annonce. J'ai décidé ça après le match à Édimbourg
(défaite 40-14, 20 octobre 2018), quand j'ai envoyé sur Twitter la vidéo de Blanche-Neige faisant le ménage. Des joueurs ont donné beaucoup au RCT mais il est temps de repartir avec des gars qui, peut-être, n'ont pas été champions d'Europe. Comme ça, on arrêtera de parler du passé, de comparer. Je pars sur un nouveau projet. Dans les semaines à venir, on fera beaucoup d'annonces dans les deux sens. Pour les arrivées, on sera plus proche de douze ou quinze que de six (*). Et beaucoup de départs. On part sur un groupe de joueurs qui signent pour trois ans et qui savent qu'ils vont vivre ensemble sur cette période, avec peu de retouches.
Quels sont vos rapports au quotidien avec Patrice Collazo, prenez-vous un café ensemble par exemple ?Pour tout vous dire, euh... Patrice, c'est compliqué de lui faire des blagues. Mais il a un peu d'humour, donc je m'adapte. C'est un professionnel, très convaincu et très convaincant, qui donne envie de le suivre. On a une réunion dans mon bureau une à deux fois par semaine. Il m'arrive aussi de passer au bureau des entraîneurs, notamment lorsqu'on a perdu, pour l'entourer. Il fait partie des rares entraîneurs que j'ai invités chez moi, mais il m'a déçu : je le pensais plus gaillard sur la harissa
(il rit).
Le 12 janvier, vous avez posté ce tweet : "Passer de Hulk à Flash, j'ai compris tant pis pour mes comics". Vous pouvez décrypter ?Flash, c'est celui qui court très vite. Le lundi, après la défaite à domicile contre Édimbourg
(17-28), j'étais très inquiet, je pensais qu'il y avait des rhumes dans mon équipe... Mais force est de constater que le rugby de demain est celui-là et qu'il faut s'y adapter. Et tant pis pour les comics car les vrais fans sont ceux des super-héros de Marvel, comme Hulk, alors que Flash est chez DC Comics.
Vous, l'ancien éditeur de BD, seriez content d'aller à Angoulême aujourd'hui pour le salon de la bande dessinée ?J'étais invité. Sûrement que j'y serais mieux qu'à Mayol, où ça sera stressant. Je retournerai à Angoulême après le rugby. Voilà, il me reste quatre ans
(il s'est engagé contractuellement auprès de Bernard Lemaître, actionnaire à 25 %, à rester jusqu'en 2023) et, après, c'est sûr, je passe à autre chose. Avant de partir, je vais essayer de faire un feu d'artifice.
Vous partirez, c'est sûr ?Si je ne m'en vais pas, il faut m'abattre ! Si je ne m'en vais pas, ça veut dire que je vais mourir. La vie de président, c'est très éprouvant. Mais il y a un côté addictif : on sait que ce n'est pas bon, mais on continue.»
(*) Eben Etzebeth, Nehe Milner-Skudder, Baptiste Serin, Christopher Tolofua, notamment, se sont déjà engagés.